Internet est-il en train de tuer la presse écrite ?
Un constat inquiétant
Depuis plusieurs années une baisse régulière de la diffusion et de l’audience de la presse est observée. D’après l’OJD, la diffusion totale payée de la presse grand public ainsi que la presse magazine recule depuis plusieurs années (presse d’information générale, presse féminine, presse sportive…).
De plus, on observe une chute des revenus publicitaires liés à la presse -8,7% entre 2014 et 2013 et -8,4% entre 2013 et 2012 qui n’arrange rien à la situation précaire des organes de presse.
On peut se demander si l’arrivée d’Internet n’a pas accéléré la chute inexorable de l’audience de la presse ces dernières années ni mis en lumière les faiblesses structurelles de ce secteur : faible rentabilité (coups fixes importants, coûts de production élevés), lourdeurs et difficultés à faire évoluer les entreprises de presse ainsi que leur modèle de distribution.
On que remarque que les revenus publicitaires pour internet sont eux, augmentation constante depuis plusieurs années : +4,6% et +4% pour les deux dernières années .
On constate enfin que le temps consacré à la lecture de supports papiers se réduit tandis que celui passé sur Internet augmente et, parallèlement, nous assistons à la fragmentation des audiences.
Temps passé sur internet :
- 4,8 heures par jour (ordinateur), 2,1 heures (mobile)
- En France : 4,1 heures par jour (ordinateur), 1 heure (mobile).
- Évolution depuis l’an 2000 du temps passé sur Internet.: +566%
- 8 nouveaux utilisateurs d’internet chaque seconde
Ces chiffres donnent le tournis et l’on se rend à quel point internet est entré dans nos vies.
Les supports papiers dont le modèle est basé sur la rareté des canaux de diffusion de l’information souffrent de la multiplicité des moyens d’accès à l’information.
Cela est particulièrement vrai pour l’actualité sur le Net qui ne subit pas (ou moins) de contraintes en termes de bouclage, de mise en page et de délais de production. Internet devient donc le média prédominant devant la presse d’information.
Ce phénomène touche particulièrement les supports tournés vers le service, comme les guides ou les annuaires. Par exemple, les diffusions payées du Pariscope et de l’Officiel des Spectacles ont chuté respectivement de 16 et de 36%.
Les organes de presse écrite sont donc obligés de proposer des extensions de leurs journaux sur le Net mais, pour beaucoup, ce « modèle » n’est pas encore maitrisé. La plupart des groupes de presse ont déjà développé des offres Internet, le plus souvent comme des extensions de leurs activités de base. Cette approche n’a pas vraiment permis de dégager des revenus suffisants pour compenser la perte sur l’activité historique.
A cela s’ajoute le développement de la « blogosphère » chez toutes les générations qui n’est plus réservée strictement aux adolescents et il n’est plus exigé d’être un grand journaliste pour pouvoir diffuser des informations ni obtenir de l’audience. Les Français possèdent de plus en plus de blogs où ils s’improvisent journalistes et cela fonctionne très bien mais modifie profondément le rôle de la presse.
« Cela enlève à la presse et aux rédactions un des éléments fondamentaux de leur rôle : la capacité à organiser et à hiérarchiser l’information transmise aux lecteurs. Déjà, avec les moteurs de recherche, il était possible de contourner l’architecture voulue par les concepteurs des sites et d’aller directement sur la page Web souhaitée. Le Web 2.0 va encore plus loin, puisque l’internaute, loin d’être obligé de suivre l’ordre et les choix éditoriaux d’une rédaction, peut choisir les informations qu’il veut consulter en fonction de ses propres préférences ».
Les revenus publicitaires de la presse se redistribuent sur Internet parallèlement à la baisse des audiences. Les perspectives de la presse écrite sont donc assez sombres.
Le principal problème est clairement évoqué : la gratuité des contenus sur Internet et l’accès instantané à ses services.
On saisi clairement ici la menace et le besoin de constituer des rédactions multimédias. Il s’agit d’un véritable enjeu pour des professionnels habitués à écrire pour un journal ou un magazine. La notion de multisupport et de gratuité n’est pas naturelle.
Les sites de presse sur Internet bénéficient néanmoins d’un attrait considérable validé par des taux de fréquentation très élevé : 50% des taux de consultation pour l’information. Si les clients sont présents, il reste néanmoins à monétiser cette présence en regard des coûts de production.
Cela milite pour des économies d’échelles et la concentration des acteurs. Seuls les gros éditeurs et les sites à très fortes consultations pourront amortir les coûts de fabrication.
Tout n’est pas perdu pour autant, comme le démontrent les chiffres du journal norvégien Schibsted qui réalise aujourd’hui 49% de son chiffre d’affaires sur Internet. L’exercice est particulièrement difficile et l’histoire entre la France et la presse reste particulière.
Outre la gratuité des contenus, le niveau de rémunération de la publicité sur internet est inférieur .Il faut soit, apprendre à vivre avec moins soit, être l’un des sites leaders.
Cette situation pousse à s’interroger sur la viabilité de la presse sur Internet et sa capacité à monétiser à hauteur de ses coûts de production. Certains ont essayé des modèles mixtes (parties gratuites et d’autres payantes), mais cela ne convient pas à tous les types de contenus. D’autres, comme le Parisien, ont adopté une formule payante qui s’est traduite par un effondrement de leur trafic.
En effet, la plupart des informations et des services sont maintenant disponibles gratuitement sur de nombreux sites. Seuls des éditeurs de contenus à haute valeur ajoutée, comme dans la, réussissent à fonctionner sur un modèle payant. Ce sont d’ailleurs souvent les entreprises qui payent l’abonnement.
Dans le domaine du grand public, le retard pris par la presse devient préoccupant, d’autant que des acteurs purs Internet ont acquis des positions difficiles à déloger (Aufeminin.com par exemple) sans avoir les contraintes sociales de la presse…
Quelles solutions ?
Une piste étudiée concerne les droits d’auteurs qui pénalisent la mise en place de contenus multisupport. Cela veut dire que durant une période courte les organismes de presse disposeraient des droits sur tous les supports puis ensuite, des droits assimilés à de la consultation d’archives et qui seraient rémunérés différemment.
Le problème de la distribution est également soulevé avec la proposition d’accroître significativement le nombre de points de vente.
Depuis 2002, la presse quotidienne enregistre des pertes annuelles cumulées entre 56 et 175 millions d’euros. Ceci malgré les importants financements publics de 164 millions d’euros en aides directes, auxquels s’ajoutent les 161 millions d’aides à la distribution. La préconisation est plutôt de renforcer les fonds propres des éditeurs de presse à travers des mécanismes de donation, de fondations soutenues par des particuliers ou encore par le biais de la constitution d’un fond dédié à l’investissement dans les entreprises de presse.
Les rédacteurs préconisent aussi la mise en place d’une TVA réduite afin de rendre plus attractives les offres payantes sur Internet, en partant du principe que seuls certains sites pourront vivre de la publicité tout en conservant des contenus de qualité. Des formules payantes permettraient en effet aux sites plus modestes d’équilibrer leurs comptes.
Certains acteurs majeurs pourront continuer à exister en déployant une vraie stratégie multisupports, et en amortissant la création de contenus sur plusieurs sites Internet, en plusieurs langues et sur plusieurs supports papiers. Cela nécessite une taille critique que peu d’acteurs peuvent avoir et les concentrations entre acteurs industriels du même type ne sont pas toujours la solution. Il est probable que nous assistions à la disparition de certains journaux et magazines dans les prochaines années…
Sources :
- Chiffres des marchés publicitaire : « http://goo.gl/xkqLVQ »
- OJD : « http://goo.gl/a9e2T »
- Chiffres clés médias : « http://goo.gl/eafwZy »
- Les lecteurs de presse écrite : « http://goo.gl/8OIYtI »
Pablo Mandel
4ème année à PSB (anciennement ESG MS). Fan de sport et plus particulièrement de rugby. Célibataire dans l’âme et amoureux de Paris.
Les commentaires sont désactivés.