Le poids des images: plus lourd que celui des mots ?

On parle souvent du « poids des mots », qu’en est-il de celui des image ? Notre époque est incontestablement marquée par l’image. En effet, c’est un outil puissant en matière de transmission de l’information, sous ses aspects les plus divers, l’image est utilisée à visé médiatique, informative, artistique, technique, esthétique voir visuelle. Le terme d’image est le lieu d’une certaine confusion, l’objet d’usages excessifs.

Voici quelques définitions :

  1. Représentation d’une personne ou d’une chose grâce aux beaux-arts : peinture, sculpture, photographie… [Beaux-arts]. (Synonyme : cliché)
  2. Ce que renvoie le miroir. Ex : Elle n’aime pas du tout l’image que lui renvoie le miroir.
  3. Illustration.
  4. Représentation mentale que l’on se fait de quelque chose ou de quelqu’un. Ex : Ce n’est pas du tout l’image que me je m’étais faite de lui. (Synonyme : idée)

Entre les multiples acceptions contrastées de la notion d’image et les disciplines diverses (sémiologie, iconologie, médiologie), les débats terminologiques perdurent. Notons aussi que selon sa forme et son mode de communication, l’image devient un objet de manipulation très important.

Frédéric Lambert met en évidence la dimension de l’information par l’image, notamment celle de la photographie de presse, et s’intéresse à sa dimension symbolique, dans l’ouvrage Les trois sourires de Miss France, Mythographie. La photo de presse et ses légendes paru en 1986. D’une part, il  nous explique à travers la Une de « France-Soir » comment celle-ci présente  l’actualité avec clairvoyance, ce qui nous donne l’impression d’y être,  tout en joignant des analogies avec la réalité : on parle alors de mythographie car la photographie de presse informe en se basant sur les mœurs, les valeurs plus précisément les mythes d’une société par l’utilisation de nombreux symboles. Ainsi pour comprendre de manière pertinente ces photographies, il nous faut assurément les interpréter, puis exprimer les mythes qu’elles évoquent chez nous. D’autre part, l’auteur explique qu’on ne peut estimer la photographie de presse que dans son idéal ressemblant ou dans son impartialité mais davantage comme quelque chose, de fortement inscrit dans nos souvenirs, qui entretient et fixe une pensée commune  c’est-à-dire qui relie les individus d’une même société autour de certaines conceptions.

Ainsi « Lire une photographie de presse […] c’est découvrir en elle le système de valeurs qu’elle vient reproduire pour le perpétuer. » ; autrement dit, par le biais de la mythographie, la photographie de presse incite davantage à l’adhésion d’une pensée collective qu’elle ne nous informe.

Frédéric Lambert écrit : « Nous croyons regarder une image et ses ressemblances, et c’est une débauche de codes qui nous étourdissent ». A mon sens, cette phrase définit ce qu’est la photographie de presse dans toute sa splendeur. En effet, la photographie de presse est une image, un signe fondé sur la ressemblance, la trace, le symbole qui a pour but de donner une seconde réalité à un objet ou à quelqu’un.
Par ailleurs, notre culture nous permet de voir la manière dont on lie une signification à l’image, par le biais d’éléments d’interprétation acquis durant notre existence ou, en faisant référence à notre mémoire iconique. C’est pourquoi, je cite « Nous croyons regarder une image et ses ressemblances » simplement. Cependant, l’image et donc la photographie sont aussi un « objet technique », déclinant le registre de la couleur, de la forme, de la perspective, de l’angle de prise de vue, du cadre, qui constituent, une représentation. Par exemple, dans une photographie en noir et blanc, les couleurs sont retranscrites en niveau de gris, la lumière joue un rôle plus important, la vision est donc différente : les scènes aux luminosités surprenantes seront davantage mises en valeurs que les scènes très colorées ; c’est donc ce genre de «codes qui nous étourdissent ». Autrement dit, la lecture d’une photographie de presse ne réside pas uniquement dans son rapport analogique avec la réalité mais également dans ce qu’elle créé en termes de représentation, par l’utilisation de règles très précises.

"Madone" de Bentalha d'Hocine (AFP, Algérie, 1997) [parut dans Le Monde, le 26 septembre 1997]

« Madone » de Bentalha d’Hocine (AFP, Algérie, 1997) [parut dans Le Monde, le 26 septembre 1997]

En 1991 en Algérie, l’armée arrête le processus électoral et décrète l’état d’urgence à cause de la victoire du Front Islamique du Salut ; six ans plus tard, le 24 septembre 1997, la photographie de  cette femme éplorée après le massacre des siens, surgit à la Une de la presse mondiale et révèle l’ampleur du conflit algérien. D’une part, cette photographie souligne clairement la souffrance, le désespoir représenté par son regard sombre perdu dans le vide. La bouche béante de cette femme dans une lamentation nous met face à la douleur de l’autre, face au malheur musulman, face au martyr subi. Par ailleurs, au regard de sa composition, cette photographie renvoie incontestablement au mythe chrétien, celui de la Vierge Marie avec son fils mort sur les genoux,  d’où les noms de « Madone d’Alger » ou encore de «Pietà de Bentalha ». C’est pourquoi, notre perception et interprétation, ont définitivement fixé cette photographie de presse en icône religieuse, dépassant la simple mythographie reconnue en elle ; cette image est ainsi vue comme une véritable allégorie de la déploration : elle cesse alors d’informer et ne documente plus l’évènement particulier qui l’a vue naitre.

« Une photographie forte, ce n’est plus l’image de quelque chose, c’est quelque chose en soi » (Ralph Gibson)

Photo : Agence France-Presse d’Éric Cabanis. [Parue dans Le Devoir, le 18 janvier 2011]

Photo : Agence France-Presse d’Éric Cabanis. [Parue dans Le Devoir, le 18 janvier 2011]

Sur cette photographie, le grand patron de Virgin America, Richard Branson et, le président d’Airbus, Tom Enders, croquent à belles dents dans une pomme qui porte l’inscription Airbus 10 000. La pomme est dotée d’une très grande portée symbolique mais son ambivalence sémantique porte à confusion ; la pomme est restée le fruit défendu par excellence, associée au péché originel, du fait de la traduction latine de la Genèse : elle renvoie à l’histoire de l’humanité. Cependant, sur cette photographie la pomme renvoie à une autre symbolique, celle de la soif de connaissance, de  la quête de l’absolu ; le pommier étant l’arbre du bien et du mal certes, mais aussi de la connaissance. En soi, nous avons sous les yeux, la traduction du mythe de Prométhée et la métaphore de l’apport de la connaissance aux hommes.

En conclusion, de mon point de vue « Une image vaut mieux que mille mots » (Confucius). Ne sous-estimons donc pas le poids de celle-ci! Notre culture, nous permet de développer différentes manières de comprendre les images. Aussi, prenez le temps de regarder ce que vous avez sous les yeux !

Sources:

  • LAMBERT Frédéric, Les trois sourires de Miss France, Mythographie. La photo de presse et ses légendes, Ed. Edilig, Coll. Médiathèque, 1986, pp 15-20
  •  GERVEREAU Laurent, Voir, comprendre, analyser les images, Ed. La découverte, Coll. Repères, Paris, 2005
  • JOLY Martine, Introduction à l’analyse de l’image, Ed. Nathan université, Coll. 128, Paris, 1994

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Auteure de ce billet :
Picture2094-268x3001Jennifer BODJONA
Chargée de Communication et de Marketing (stagiaire) chez SpotPink. J’intègre à la rentrée 2014 un Mastère Communication option Digital Marketing à Pôle Paris Alternance (PPA). Sociable, dynamique, pragmatique et organisée, travailler dans la communication est une évidence pour moi et je souhaite devenir Responsable de Communication. J’aime parcourir le monde à la découverte de nouvelles cultures. Le relationnel est primordial dans ma vie.

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