Pour une campagne préventive efficace : faire peur ou faire rire ?
A la frontière des concepts utilisés dans le marketing et la publicité, la psychologie sociale de la santé, a cherché à mettre en évidence les facteurs nécessaires à un message préventif efficace. Entre autre, elle s’est appliquée à décrire les conditions dans lesquelles l’exposition à ce type de message amène l’adoption d’un comportement nouveau chez l’individu ciblé.
De la campagne choc au spot humoristique, le contenu même d’un message préventif, son registre émotionnel, devient une variable principale de son efficacité. La question se pose alors pour ces promoteurs de comportements sains, s’il est préférable de faire appel à la peur ou bien appel à l’humour ?
La réponse à cette question n’est évidemment pas toute tranchée.
L’APPEL A LA PEUR
Entre 2002 où ont été lancées des campagnes coup de poing pour la sécurité routière et 2011, on constate que le taux de morts sur la route chute d’environ 45%. D’un point de vue purement statistique ce pourcentage est satisfaisant. Mais, lorsque l’on évoque le nombre de morts, soit encore 3.959 tués en 2011, on sait que l’objectif n’est pas atteint. Peut-on alors parler d’efficacité pour ces messages violents ?
Un message préventif de peur est habituellement composé de deux parties :
- La description de la sévérité de la menace et de la vulnérabilité pour les individus (ex : vidéo de l’accident fatale de Monsieur tout le monde).
- La recommandation pour éviter la menace : respectez les limitations !
Le modèle « Extended Parallel Process Model » de Kim Witte professeur de communication, créé en 1992, se base sur ce postulat et vise à évaluer si un message sera efficace ou non. Il en découle qu’à la réception du message, lorsque la vulnérabilité perçue est faible, le message est inefficace et aucune réaction ne sera suscitée. A l’inverse, si l’individu perçoit le danger du message, il va dans le même temps évaluer l’efficacité de la solution proposée. S’ensuivent alors deux cas de figure :
- soit, l’efficacité est jugée plus forte que le sentiment de vulnérabilité, alors l’individu aura un sentiment d’auto-efficacité élevé, il va prendre en compte le message et va agir dans le sens de celui-ci.
- Soit l’efficacité est estimée moindre par rapport au sentiment de vulnérabilité, dans ce cas l’individu va adopter des stratégies d’autoprotection visant à contrôler sa peur et va nier, décrédibiliser la menace.
Le risque dans cette dernière situation (et qui concerne surement bon nombres d’automobilistes) est qu’on peut assister à un comportement réactionnel contre-productif comme l’effet boomerang : par exemple suite à l’exposition d’une campagne de sécurité routière, cet automobiliste ne respectant pas forcément les limitations de vitesse pourrait les négliger davantage et rouler bien plus vite qu’il ne l’aurait fait.
En fait, l’appel à la peur dans les campagnes de santé s’avère bien plus utile lorsqu’il s’agit de promouvoir un comportement de prévention que lorsqu’il s’agit de modifier un comportement déjà existant. D’après Witte, pour qu’une campagne soit efficace le message doit être :
- explicite, révélateur pour générer la peur,
- contenir des mots chocs pour marquer et retenir l’attention,
- personnel pour atteindre l’individu,
- et enfin, l’action recommandée doit être claire pour augmenter au maximum le sentiment d’auto-efficacité du sujet.
L’APPEL A L’HUMOUR
Une expérimentation de Blanc & Brigaud en 2013 a montré par comparaison, qu’un message de prévention différent accompagné de la même image affecte l’individu dans son fonctionnement. Ils ont démontré notamment que les affiches avec message humoristique retiennent plus l’attention, c’est-à-dire qu’elles se gardent plus longtemps en mémoire, sont plus convaincantes et aident davantage l’individu à modifier son comportement.
- D’un point de vue cognitif, l’humour nécessite un traitement plus profond de l’information et mobilise des ressources pour accéder au sens humoristique qui empêche l’individu de faire une autre tâche. La capacité de l’individu à critiquer les arguments avancés par le message n’est plus disponible.
- D’un point de vue affectif, l’humour, qui génère des émotions positives ou le simple fait d’aimer une publicité, va permettre une influence plus grande, et donc une persuasion plus forte et rapide.
L’humour serait donc une bonne alternative à la peur notamment pour déjouer l’effet boomerang, car il joue un rôle non négligeable dans la régulation des émotions négatives, souvent véhiculé par ces campagnes de préventions (peur, culpabilité, dégoût).
Mieux encore, Lee en 2010 montre que même chez des populations marginales qui valorisent les conduites à risque, et qui auront tendance à nier les messages préventifs, l’humour associé au sentiment d’auto-efficacité permet d’éviter les réactions défensives.
En termes d’efficacité, entre l’humour et la peur, il semble après tout qu’il n’y en ait pas un mieux que l’autre, mais l’on peut reconnaitre à l’humour l’avantage indéniable de ne présenter aucun risque d’effet pervers. La question est alors de bien définir le message selon son but, le comportement prôné, selon sa cible.
Les messages concernant une population très générale restent délicats car nécessitent de ne laisser de côté aucune catégorie afin d’obtenir un impact sur chacun, et ainsi, éviter que les individus se tournent vers des stratégies de contrôle de la peur. Le registre du message n’est pas l’unique facteur d’un message efficace, puisque d’autres recherches montrent, par exemple, que la répétition du message est une variable incontournable à l’adoption de nouveaux comportements.
Bibliographie :
- Centre de conseil anti-tabagisme de l’Ontario. (2000). Comprendre et utiliser les Appels à la peur pour la lutte antitabac. Centre de promotion de la santé de l’université de Toronto.
- Trefois, P. (2003). L’usage de la peur. Une approche légitime en promotion de la santé? Supplément Bruxelles Santé n° 31, pp 19-31 + l’introduction.
- Girandola, F. & Atkinson, D. (2003). Prévention, détection et traitement de l’information persuasive en situation de peur. Revue Canadienne des Sciences du Comportement, 35, 3, 197-209.
- Blanc, N., & Brigaud, E. (2013). Pourquoi ne pas rire de ce qui nous fait peur ? L’humour, une stratégie efficace pour communiquer en santé publique. In N. Blanc (Ed.), Publicité et santé des liaisons dangereuses? Le point de vue de la psychologie, (pp. 47-80). Paris : In Press.
- Cuny, C. (2013). Les effets inattendus des messages sanitaires de prévention : un mécanisme automatique de compensation ? In N. Blanc (Ed.), Publicité et santé des liaisons dangereuses? Le point de vue de la psychologie, (pp. 81-8104). Paris : In Press.
Sources :
- http://www.lexpress.fr/actualite/societe/pourquoi-les-campagnes-de-la-securite-routiere-sont-elles-aussi-violentes_1074576.html
- http://lci.tf1.fr/france/securite-routiere/nombre-de-morts-sur-les-routes-de-1950-a-nos-jours-6917067.html
———————
Auteur de ce billet :
Loïc CARRIERE
Chargé de Communication et de Marketing (Stagiaire) chez SpotPink. Étudiant en 3ème année de Licence en Psychologie Sociale, j’ai d’abord entamé un parcours dans la musique et le sport. Le piano, la guitare et la gymnastique sont aujourd’hui mes loisirs principaux. Fasciné par le fonctionnement et les rapports humains, je souhaite m’orienter professionnellement dans le coaching, la formation en entreprise et individuelle.